Du bon usage du mot « complotiste »

Cet article a été rédigé en mars 2021 par le Collectif Citoyens Covid en Bigorre ; nous les remercions d’avoir accepté de faire figurer cet article sur le site internet de l’association Citoyens Libres des Pyrénées.

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Est-on complotiste parce qu’on affiche son désaccord avec la politique menée actuellement vis-à-vis du covid ? C’est très souvent ce qui arrive dans les grands médias ou dans les conversations entre particuliers. Cela n’est pourtant pas approprié du point de vue linguistique. Si l’on se réfère aux dictionnaires, la définition du mot complot varie mais on retrouve généralement quelques traits : un complot est un plan d’action ourdi en secret par un petit nombre d’individus. Un complotiste est donc quelqu’un qui privilégie l’existence d’un complot comme explication d’une action ou d’une situation sociale. 

Du bon usage du mot complotiste 

Il y a plusieurs façons d’afficher son désaccord avec une politique menée par un gouvernement, que ce soit sur le sujet de la Covid ou sur d’autres, que l’on soit lanceur d’alerte sur internet ou simple particulier. La plupart ne méritent pas le qualificatif de « complotiste » si l’on s’en tient au sens de ce mot. Distinguons trois grandes façons. 

Je ne suis pas convaincu

La première façon est de dire que l’on n’est pas convaincu par les arguments qui nous sont présentés. Cela peut provenir de contre-informations étayées dont on a pu avoir connaissance et que l’on peut donc avancer solidement, ou simplement du fait que le discours qui nous est servi comporte trop d’incohérences, voire trop de signes de manipulation, ou encore n’est pas étayé par des preuves suffisantes. Nous faisons tous cela dans la vie courante, nous analysons le sérieux de ce qui nous est dit, par quelqu’un qui veut nous vendre quelque chose, certes, mais aussi par nos proches, nos collègues de travail, ou toute personne en qui nous avons besoin d’avoir confiance. 

S’agissant de la Covid, nous avons par exemple souligné que la façon dont les « morts covid » était comptés et annoncés n’était pas convaincante en expliquant pourquoi ; idem pour la politique du gouvernement d’empêcher toute tentative de traitement précoce de la maladie par les médecins de ville : l’argumentation du gouvernement nous apparaît faible pour plusieurs raisons que nous avons détaillées. Pour prendre d’autres sujets d’actualité, la réforme des retraites, par exemple, certains contestent les modes ou hypothèses de calcul et les conclusions qui en sont tirées. Quant aux scientifiques qui ne sont pas convaincus par la théorie du réchauffement climatique, on les appelle les « climato-sceptiques » (et jamais les « climato-complotistes »)

Cette façon d’objecter à un discours et à une politique s’appuie sur des raisonnements logiques. On peut donc les contester et en débattre sur le plan de la logique, en examinant la cohérence des raisonnements et la solidité des preuves avancées. 

Dans tous ces cas, le mot « complotiste » n’est pas justifié car il n’y est en rien question de complot. 

Je cherche à comprendre pourquoi

Chercher à comprendre pourquoi d’autres agissent ou parlent comme ils le font est une activité fort courante chez les êtres humains. Cela se pratique dans la vie courante, avec sa famille, ses relations de travail et même son chien…en particulier à chaque fois que leur comportement ne nous semble pas cohérent avec celui que l’on attend, compte tenu de leurs capacités et de leurs objectifs supposés. On émet alors des hypothèses et interprétations diverses que l’on croise avec ce que l’on observe, que l’on va tester pour les valider ou les infirmer. On peut aussi questionner ceux que l’on ne comprend pas, attendant d’eux des éclaircissements, des explications à leur comportement, s’il peuvent parler bien sûr.

Cette activité occupe une place de choix dans la vie sociale. Dans les organisations de travail (administrations, entreprises) les discours et actes des dirigeants ou de collègues d’autres départements, sont souvent passées au crible, en essayant de décoder leurs intentions derrière ce qu’ils font ou disent. Il en va de même pour les dirigeants politiques. 

A chaque fois que des enjeux peuvent diviser des parties prenantes aux intérêts ou vision du monde différents, chacun essaie de décoder les stratégies des autres… 

Une manière classique d’expliquer un comportement ou une situation consiste à se poser la question du mobile : « à qui profite le crime ? » comme le disent les enquêteurs de police, « follow the money » (« suivez l’argent ») dit un adage américain… 

En matière de Covid, on peut ainsi émettre et étayer plusieurs hypothèses au sujet de ce que le gouvernement cherche à faire (par exemple, l’une d’elles serait de susciter dans la population l’acceptation de la vaccination de masse). 

Les critiques de la réforme des retraites reprochent, par exemple, au gouvernement de vouloir favoriser les fonds de placements privés dans la gestion du système de retraite (sans jamais pour autant se faire traiter de complotistes)

Dans tous les cas, il s’agit de décoder des stratégies c’est à dire de mesurer la cohérence entre ce que les acteurs au pouvoir font, les objectifs qu’ils affichent et ceux qu’ils n’affichent pas. Ceci amène donc à étayer logiquement des hypothèses, à essayer de voir si elles sont solides et plausibles, et éventuellement de montrer qu’elles expliquent plus logiquement que d’autres certaines politiques. Ceci ne leur confère pas le statut de vérité incontestable, cette dernière demeurant inaccessible. 

On peut débattre de ces hypothèses, là aussi, en restant sur le plan de la logique. Sans ce travail-là, pas de débat politique, pas de journalisme d’investigation, pas de démocratie…

Ajoutons que de nombreuses branches des sciences humaines se sont attachées depuis longtemps à comprendre le comportement des individus et des groupes sociaux. Cela a amené bon nombre des chercheurs dans ce domaine à mettre en lumière des phénomènes de manipulation et de jeux de pouvoir ; ils ont de ce fait été amenés à être critiques par rapport à la marche de nos sociétés et à l’ordre établi ; ils ont pu mettre au jour des stratégies de tel ou tel groupe social ; jamais, cependant, cela ne leur a valu le qualificatif de « complotistes ». 

Le mot de « complotiste » reste, dans tous ces cas, inapproprié : il n’y est toujours pas question de complot. 

J’affirme qu’il y a un complot

Enfin, on peut dénoncer un complot comme l’origine et le responsable d’une situation.

a) Il y a les cas où les lanceurs d’alerte ont finalement raison, preuves à l’appui. Cela se produisit, par exemple, au sujet de l’invasion de l’Irak, motivée à tort par la présence dans ce pays « d’armes de destruction massives ». Les faits ont donné raison à ceux qui, dès le départ, ont mis en doute cette allégation. La thèse d’un complot n’est donc pas à rejeter a priori, comme elle n’est pas non plus a privilégier par principe. Comme les autres explications possibles d’une situation, elle est à évaluer au fil du temps sur sa plausibilité et la solidité des arguments utilisés pour la défendre. 

b) Il y a également les cas où le complot ne peut être formellement prouvé en l’état des connaissances disponibles. 

Dans le cas de la Covid, on peut, par exemple, avancer qu’une société secrète réunissant un petit nombre de gens puissants, plaçant ses obligés aux postes-clés, orchestre la pandémie, voire l’a provoquée, en vue d’asseoir son pouvoir et la richesse de ses membres. 

S’agissant de la réforme des retraites, et plus généralement des politiques néo-libérales, on avance alors qu’une telle société secrète, contrôle et coordonne les politiciens en place et les grands médias, toujours dans le même but. . 

Est complotiste la personne qui privilégie ce type d’explication par rapport aux autres et l’affirme comme vraie, en dépit du fait que les preuves pour l’étayer sont particulièrement difficiles à trouver. 

Cependant, dans tous les cas, l’existence d’un complot, réelle ou supposée,  ne doit pas faire oublier de s’interroger aussi sur les conditions qui peuvent le rendre possible et permettre son succès éventuel : corruptions, liens d’intérêts illégitimes, relations de pouvoir déséquilibrées entre groupes de pression, faillite des contre-pouvoirs ou des garde-fous prévus en démocratie…

Rejeter la faute sur quelques “méchants”  peut être parfois pertinent mais empêche aussi de se poser des questions importantes.

Du danger d’utiliser le mot « complotiste » sans discernement

Regrouper, sous un même vocable « fourre-tout », tous les opposants ou les sceptiques par rapport à la politique menée vis-à-vis de la Covid est dangereux pour la démocratie. Cela empêche le débat. 

Les dictatures utilisent volontiers ce genre de mot ; on y dénonce volontiers les « ennemis du peuple » ou autres appellations du même genre. Dans son roman « 1984 », George Orwell décrit une société dominée par Big Brother où l’on met au point une langue avec un minimum de mots ; il n’y en a qu’un pour qualifier toute contestation : « crimepensée ». 

En effet, l’appauvrissement du langage conduit à celui de la pensée et donc, à la disparition chez les individus de leur capacité de réflexion. Et les dictatures ont besoin de cela. 

Ici se trouve sans doute l’aspect le plus préoccupant de cet engouement pour le mot « complotiste ».


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